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Faire le lien entre deux mondes : une sage-femme bolivienne associe pratiques traditionnelles et médecine moderne pour assurer la sécurité des accouchements

Une femme portant des vêtements traditionnels et une longue tresse sourit à l’objectif.
Ana Choque, une sage-femme forte de 45 ans d’expérience, au Symposium régional interculturel sur la santé maternelle des femmes autochtones, à Mexico. Crédit : © UNFPA LACRO / Adrián Ibáñez
  • 29 Janvier 2025

LA PAZ, Bolivie – Après avoir elle-même été témoin de décès de femmes en couche, Ana Choque, sage-femme, sait combien il est vital de pouvoir prendre des décisions médicales au plus vite. 

« Bien souvent, alors que les signaux inquiétants sont évidents, la famille est réticente à amener la femme au centre de santé », explique-t-elle à l’UNFPA, l’agence des Nations Unies chargée de la santé sexuelle et reproductive. « Je le vois chaque jour : le mari, la belle-mère, les proches disent parfois que ce n’est pas nécessaire [d’aller à l’hôpital], que la situation est “normale”. »

Défenseuse de la santé maternelle en Bolivie, Mme Choque travaille avec l’UNFPA pour former des sages-femmes et favoriser le recours aux pratiques médicales modernes, associées aux connaissances traditionnelles.

« J’ai dû assister à plus de 4 000 naissances », déclare-t-elle. Forte de plus de quarante ans d’expérience en tant que sage-femme, et d’une vaste connaissance des pratiques ancestrales de son pays, elle encourage les patientes à s’affirmer. « Je leur dis : “C’est votre corps, c’est vous la mère, c’est à vous de décider”. »

Mais Mme Choque n’est pas seulement sage-femme, elle est aussi gardienne des traditions. Ayant grandi dans la municipalité de Luribay, au sein du département de La Paz, elle a appris l’art de guérir et d’assister les femmes enceintes auprès de sa grand-mère, accoucheuse traditionnelle. Dès l’âge de 8 ans, elle l’accompagnait déjà sur de longs trajets pour assister aux accouchements.

« Avant de commencer, ma grand-mère offrait des présents à Pachamama (Terre-Mère), comme du sucre, de l’encens, du copal et de la graisse animale », se remémore Mme Choque. Ces rituels imprégnaient sa connaissance de la médecine traditionnelle et constituaient la base de sa pratique, qui impliquait de manipuler soigneusement le placenta et de l’analyser pour évaluer l’état de santé du nouveau-né, et d’intégrer des herbes médicinales pour soulager les douleurs liées au travail et faciliter le rétablissement postpartum. Grâce à Mme Choque et à d’autres sages-femmes dévouées, la sagesse prospère encore aujourd’hui en Bolivie.

Associer médecine traditionnelle et moderne

La Bolivie détient actuellement l’un des taux de mortalité maternelle les plus élevés d’Amérique latine. Malgré une réduction de plus de 40 % en vingt ans (187 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2000 contre 160 pour 100 000 en 2020), la baisse stagne plus ou moins depuis 2011.

Les hémorragies, l’hypertension et les complications résultant d’avortements dangereux comptent parmi les principales causes directes des décès maternels en Bolivie, comme l’a relevé l’étude nationale 2011 sur la mortalité maternelle menée après le recensement.

Ces chiffres inquiétants révèlent le besoin de changer d’approche. Daniel Rojas, chef de la division de santé maternelle de l’UNFPA en Bolivie, a déclaré qu’il était essentiel d’encourager le recours à la médecine moderne, associée aux pratiques traditionnelles. « Il faut un effort collectif, ancré dans la compréhension culturelle, des prestataires de santé, des communautés et des sages-femmes, pour permettre à toutes les femmes boliviennes de vivre une maternité en toute sécurité, et en bonne santé. »

L’association des deux systèmes permettra aux femmes d’avoir accès à des soins plus complets et respectueux de leur culture, a-t-il ajouté. Mme Choque travaille actuellement au centre de santé Ventilla à El Alto, où elle fait le lien entre patientes et médecins, expliquant les procédures médicales de façon à apaiser leurs angoisses tout en respectant leurs croyances culturelles. Lorsque cela est nécessaire, elle oriente les cas complexes vers un hôpital de La Paz, la capitale. « De nombreuses femmes ne veulent pas voir de médecin à cause de la façon dont on les traite », explique-t-elle.

L’une des plus grosses difficultés qu’elle rencontre est de venir en aide aux femmes enceintes dans les régions reculées. Les trajets peuvent prendre des heures en moto ou à cheval, un délai qui peut rapidement s’avérer mortel, surtout en cas d’urgence. Les établissements de ces régions sont aussi souvent dépourvus d’équipements essentiels et de personnel formé, limitant l’accès à des soins rapides et de qualité.

Autonomiser les femmes : de mères en sages-femmes

Deux femmes portant des vêtements colorés se tiennent par la main et sourient à l’objectif.
Vanina Villanueva (à gauche), une sage-femme traditionnelle du peuple Mapuche d’Argentine, et Ana Choque (à droite), une sage-femme autochtone de Bolivie. Crédit : © UNFPA LACRO / Adrián Ibáñez

L’UNFPA soutient le centre de santé Ventilla par le biais d’un projet financé par le gouvernement coréen qui vise à promouvoir l’égalité des genres et à améliorer les droits sexuels et reproductifs des adolescent·e·s.

L’engagement de Mme Choque à autonomiser les femmes s’étend de ses propres patientes à son rôle de leader dans la communauté des sages-femmes. En Bolivie, le rôle des sages-femmes traditionnelles est depuis longtemps décisif pour inciter un plus grand recours à l’aide obstétricale spécialisée, en particulier au sein des communautés rurales et autochtones.

Leurs contributions ont pourtant souvent été négligées et sous-estimées par le système de santé officiel. Pour s’attaquer aux préjugés, Mme Choque dirige l’Association des sages-femmes de La Paz, un collectif regroupant plus de 180 sages-femmes de la région.

« Avant, nous étions invisibles, nous n’étions pas reconnues. Nous étions discriminées. » S’unir, dit-elle, est essentiel. « Nous organiser, former des alliances : voilà le seul moyen de décupler nos forces et de changer les choses. »

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